À l’heure où s’ouvrent les premiers États généraux de l’alimentation ce 20 juillet, la perspective de créer une filière agro-alimentaire durable fait débat. Si la voie des produits biologiques semble la plus adaptée, toutes les filières bio ne se valent pas. Alors que la Bio se définit comme un projet global, le bio industriel tente de s’emparer du marché. Enquête de Kaizen…
Même si l’enseigne Carrefour affiche sa volonté de créer « Le Bio… pour tous ! » et la filiale Auchan celle de « rendre le bio accessible à tout un chacun » (nous n’avons pas obtenu de réponse sur leurs perspectives pour 2017), les professionnels engagés critiquent le manque de cohérence entre le bio industriel et ses critères sociaux et environnementaux. « La grande distribution achète des produits qui ont fait le tour du monde pour arriver dans l’assiette du consommateur Français. Ce n’est pas cohérent sur un plan environnemental, mais aussi social, parce qu’en général c’est fait sur le dos de gens qui sont payés moins de 2€ par jour à l’autre bout de la planète. », explique le directeur de Biocoop, Claude Gruffat. En proposant des tomates et des fraises en hiver dans les grandes surfaces, la grande distribution répond davantage à une demande, plutôt qu’à des critères éthiques. De plus, le label bio européen a assoupli ses critères depuis sa création en 1999, en autorisant notamment 0,9 % d’OGM dans les produits bio, des traitements médicamenteux (trois par an maximum pour les poules pondeuses par exemple), et la mixité – bio et non bio – des exploitations2.
La guerre des prix
Selon les études de l’Agence Bio, en 2014 « près de 9 Français sur 10 ont consommé des produits bio au moins occasionnellement, et 6 sur 10 régulièrement »4. La grande distribution saisit ainsi un marché en pleine croissance, mais n’est pas préparée à cette demande car les surfaces agricoles manquent (4 % d’entre elles seulement sont consacrées au bio en France). Alors, au lieu de construire petit à petit des partenariats avec les filières françaises, elles importent des produits de l’étranger. La grande distribution construit donc un bio « qui vient d’ailleurs » selon les mots de Mathieu Lancrix, directeur de Norabio.
Stéphanie Pageot, présidente de la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB) rappelle que « de nouveaux acteurs arrivent et sont tentés de s’engager dans une guerre des prix. Mais il faut qu’ils fassent la guerre du prix le plus juste, pas celle du prix le plus bas ! ». Faire appel à des travailleurs à l’étranger permet de baisser le prix des produits bio. Comment déterminer alors un prix juste ? En suivant les principes du commerce équitable et de l’économie sociale et solidaire, selon les acteurs de la Bio. Ainsi, la marque “Ensemble pour plus de sens”, créée en 2000, rebaptisée depuis “Ensemble, solidaire avec les producteurs”, privilégie l’adaptation aux conditions de production pour ajuster les tarifs : « Chaque année, en fonction des aléas climatiques et des rendements obtenus, les prix des produits peuvent varier à l’intérieur d’une fourchette. Ils sont garantis par contrat sur trois ans avec un plancher et un plafond », explique François Péloquin, agriculteur bio et gérant du GIE Ferme de Chassagne, en Charentes.
« Il faut recréer du lien entre les différents acteurs », ajoute Stéphanie Pageot. Décidés à réagir, les différents acteurs de la Bio se regroupent de plus en plus pour anticiper la concurrence des filières industrielles. « Il y a un risque qu’ils fassent pression sur les prix. C’est pour cela que nous devons organiser les filières : gérer la surproduction et s’organiser avec les distributeurs », explique le directeur de la coopérative Norabio basée à Gondecourt, qui regroupe 140 producteurs de fruits, légumes et céréales Bio.
La Bio défend un projet politique, économique et social
« La vigilance du consommateur, c’est d’imposer et de demander que les valeurs qui encadrent la Bio, telles qu’on les a connues dans les réseaux spécialisés jusqu’à maintenant, soient aussi conservées par la grande distribution », préconise Claude Gruffat. Si aujourd’hui les filières internationales n’ont pas pris plus d’ampleur, c’est grâce au consommateur, qui privilégie à 71 % les produits français, selon l’Agence Bio. « La concurrence internationale reste cependant forte. Nous avons tiré la sonnette d’alarme dans les années 1990 et, les consommateurs ont commencé à boycotter les produits venus de Chine, des pays de l’Est ou du Canada. », rappelle François Péloquin, agriculteur bio en Charente.
1 Chiffres de l’Agence Bio, 2016.
2 Le bio s’use-t-il ? Analyse du débat autour de la conventionalisation du label bio, Geneviève Teil, p.102-118, 2012.
3 Les évolutions des exploitations agricoles bio, Denise Van Dam et Jean Nizet, Revue économie rurale, 2014. 4 Voir les études de l’Agence Bio.